« Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau. » Le Petit Prince, Saint-Exupéry
Certains auteurs utilisent le terme « étapes » pour expliquer le déroulement d’un deuil. Pourtant, le processus de deuil n’est pas linéaire et il importe d’utiliser cette terminologie avec prudence. En effet, bien que la tristesse, la colère et la culpabilité soient les trois réactions émotives habituelles lors d’un deuil, elles peuvent disparaître pour mieux réapparaître. Quelques fois entremêlées, ces émotions peuvent se manifester à des moments et des lieux différents, s’estomper et revenir sans avertissement.
Plusieurs personnes évitent de ressentir ces émotions jugées désagréables. Or, les émotions réprimées sont habituellement exprimées d’une façon ou d’une autre. Par exemple, certains individus développent des symptômes physiques, ressentent une absence permanente de joie de vivre ou se retrouvent dans un état de fatigue chronique. Mieux vaut accueillir les émotions lorsqu’elles se présentent, peu importe leur nature.
Une émotion dont on fait l’expérience fluctue en intensité pour finalement se dissiper. En cas contraire, elle reste là, tapie en soi. Porter des émotions non exprimées nous prive d’une énergie vitale. Au contraire, ressentir et accueillir les émotions donne accès à une vitalité, source de créativité et d’un éventuel mieux-être.
La tristesse
Un voile de tristesse assombrit le quotidien. Les larmes ne cessent de couler. Je sais que la peine s’estompe avec le temps. Je sais que le désir de mourir est le désir de naître à autre chose.
La tristesse est souvent l’émotion prédominante lors d’un deuil. Certains la camouflent et la taisent alors que d’autres la laissent s’exprimer par des larmes. La peine ressentie peut même être si intense qu’elle suscite une absence profonde de sens à vivre et des idées suicidaires. Cette tristesse est souvent l’émotion qui incite les gens à consulter. Ils s’inquiètent et se demandent comment ils pourront survivre à cette douleur.
Le deuil suite à la mort d’un être cher peut être comparé à une blessure. Il s’agit en quelque sorte d’une blessure affective. Pour guérir, une blessure nécessite du temps et des soins. De plus, il faut éviter d’ouvrir à nouveau la cicatrice.
Ainsi, prenez le temps de pleurer. Laissez couler les larmes quand elles se présentent. Les larmes de chagrin libèrent de l’endorphine, une substance qui calme et apaise. De plus, les larmes ont comme effet de diminuer la sensation d’oppression souvent présente lors d’un deuil.
Il est aussi possible de circonscrire dans le temps les soins apportés aux blessures de l’âme. Vous allez travailler ou faire vos activités en sachant qu’en soirée, vous pourrez enfin pleurer et exprimer votre peine. Ainsi, vous apprenez à mettre votre chagrin entre parenthèses. Vous êtes davantage que ce chagrin. La tristesse est souvent un passage obligé qui permet de s’initier à davantage de sensibilité à l’égard des autres et de soi. Dites-vous que tout l’espace occupé par le chagrin pourra un jour contenir de la joie et le plaisir de vivre.
La colère
J’ai envie de hurler. Pourquoi moi ? Tu n’avais pas le droit de mourir et de me laisser seul. Je suis en colère envers la vie. Je n’ai pas envie d’entendre les jérémiades des uns et des autres alors que la mort m’a volé l’essentiel.
La colère est habituelle et légitime lors d’un deuil. Alors que la tristesse mobilise votre énergie et vous affaiblit, la colère hausse le niveau d’énergie et incite davantage à l’action. Ainsi, il vaut mieux parfois ressentir de la colère que de s’écraser sous le poids de la dépression.
Cette colère peut être exprimée vers l’extérieur. Vous en voulez alors aux survivants, à Dieu, à l’humanité, etc. Les proches d’une personne qui vit un deuil sont d’ailleurs souvent victimes de ces sentiments d’hostilité ou de rancœur. La colère est alors dirigée vers des personnes qui réactivent la blessure. Par exemple, une femme en voudra aux parents qui bénéficient encore de la présence de leurs enfants alors que le sien est décédé.
La colère peut même prendre des proportions démesurées et se transformer en agressivité. Certains drames en témoignent. Quand quelqu’un agresse physiquement une autre personne, on peut percevoir la démesure engendrée par cette émotion. La colère peut aussi être tournée vers soi et se manifester par des comportements d’autodestruction (alcoolisme, toxicomanie, automutilation, suicide, etc.).
Il importe donc d’apprendre à exprimer sa colère le plus sainement possible (par l’écriture, des activités sportives ou une communication respectueuse) afin d’éviter d’envenimer vos relations.
Se sentir seul
Le temps semble en suspens. Je n’ai plus l’impression d’être en lien avec les autres; il ne tient qu’à moi de nommer ce que je vis.
Je relis au hasard quelques pages du livre Solitude face à la mer d’Anne Lindbergh. Elle y parle de cet isolement qui nous sépare des autres, de notre incapacité à dire, à communiquer l’intensité de notre expérience. Cet isolement, d’ordre plus spirituel que physique, peut se vivre dans une foule, dans le confort de sa maison ou lors d’une rencontre avec des proches.
Le deuil est habituellement marqué par cette sensation de solitude. Bien que dans certains cas, l’isolement puisse être physique et réel, la solitude ressentie est davantage de l’ordre de l’isolement spirituel. Les émotions sont si tumultueuses qu’il devient fastidieux de les partager. Incapable d’être en lien avec soi, il devient impossible d’être en lien avec les autres. Ainsi, pour être capable de rejoindre les autres, il faut d’abord apprivoiser notre relation à nous-mêmes, à ce que nous devenons.
Incapable de cerner la complexité de ce que nous vivons, nous n’avons plus d’emprise pour entrer en relation. Ce n’est que lorsqu’on se sent relié à ce que l’on est que l’on peut tisser des liens véritables avec les autres. Se sentir seul, c’est souvent se sentir loin de soi.
Le premier lien significatif à développer est avec vous-même. Respecter votre rythme, vos besoins et vos désirs peut être fort agréable. Apprivoiser sa solitude, c’est aussi apprivoiser une relation avec soi.
De façon paradoxale, il importe de sortir de l’isolement physique lors d’un deuil. Il faut même parfois se forcer pour tisser des liens avec les autres et maintenir certaines relations. En effet, les autres contribuent et nous aident à nous redéfinir. Ainsi, une alternance de moments de solitude et de rencontres permet d’entrer en lien avec ce moi profond et de se reconnecter avec ce que l’on est.
Toute émotion est source d’apprentissage. Ne dit-on pas : « Si tu as peur, tremble ». L’être humain ne se réalise pleinement qu’en affrontant la partie souffrante de son être. Ne reste plus qu’à apprécier les émotions agréables et à accueillir les tumultes émotifs propres au deuil.
Ramer en suivant le courant est beaucoup moins épuisant que de se diriger à l’encontre des vagues qui se présentent! Laisser les émotions suivre leur rythme permet de constater qu’elles sont passagères et éphémères.
Texte : Josée Jacques, psychologue et professeure de psychologie
Je me suis vu à travers ce texte. Merci.
Encouragement.
J'ai vécu toutes ces étapes et grâce à votre site j'ai pu échanger avec d'autres personnes en deuil d'un enfant et cela m'a beaucoup aidé comme j'ai pu aider aussi et nouer des amitiés qui ont duré dans le temps!
Mais là j'ai perdu une petite sœur de cœur Claudine que j'ai rencontré sur ce site. L'année dernière me sachant seule pour mon anniversaire, mon compagnon étant gravement malade et à l'hôpital, elle est venue me voir en ayant préparé un délicieux repas. Nous avons passé des heures à échanger, c'est la dernière fois que je l'ai vue!
Vole vole mon amie, quitte ce monde de douleurs, monte vers la lumière où tu retrouveras "ton cher Dadou!"
Ce texte est pertinent en ce qui concerne la solitude, cette incapacité à pleurer parce qu'encore sous le choc et le déni et s'en sentir coupable et se sentir incomprise.
Ghislaine Pruneau, 2 novembre 2020