Longtemps, on a cru que les personnes présentant une déficience intellectuelle n’étaient pas en mesure de vivre des deuils. Plus les limites des personnes étaient importantes, plus cette croyance était forte. Les recherches et surtout l’expérience clinique démontrent le contraire. Non seulement ces personnes vivent des deuils, mais elles ont encore plus besoin de notre aide et de notre soutien en raison de la limitation de leurs habiletés relationnelles.
Pendant longtemps, l’avenir des personnes présentant une déficience intellectuelle était tracé d’avance et l’institutionnalisation était fortement recommandée à leurs parents naturels. Leur espérance de vie n’étant pas très élevée, comparativement à la majorité de la population, il était donc très rare que ces personnes survivent à leurs parents.
Grâce aux nombreuses découvertes de la science médicale et aux meilleurs soins qu’on fut en mesure de leur prodiguer, la longévité des personnes présentant une déficience intellectuelle a rejoint graduellement celle de la population générale. On commença à découvrir non seulement leur potentiel d’apprentissage malgré les limites de leurs ressources cognitives, mais également leur capacité à tisser des liens affectifs d’attachement.
Toutefois, des adultes présentant une déficience intellectuelle plus sévère manifestaient souvent plusieurs comportements inadaptés, parfois même violents. Cela prit plusieurs années avant que l’on comprenne que certains comportements inadaptés venaient de la douleur de la perte d’un être cher, soit un membre de leur famille d’origine ou du personnel soignant ou éducatif.
Nous avons commencé alors à nous préoccuper du fait que ces personnes aussi vivaient des deuils. Et en raison de certaines de leurs limitations, nous avons compris également que, plus que quiconque, elles avaient besoin d’être accompagnées pour arriver à vivre ce passage difficile. La pleine réalisation du non-retour de la personne aimée ne se manifestera parfois que plusieurs mois ou même plusieurs années après son décès.
Compréhension de la mort
Faire un deuil implique différentes étapes. La première se vit dès l’annonce du décès et renvoie à notre capacité de pouvoir saisir minimalement ce qu’est cette étape ultime. Notre compréhension cognitive de la mort sera influencée par notre habileté à assimiler un ensemble de concepts :
Les trois premiers concepts peuvent être intégrés grâce à la pensée concrète alors que les quatre derniers nécessitent le développement de la pensée abstraite. Plus les limitations d’une personne présentant une déficience intellectuelle sont importantes, plus le processus du deuil sera complexe et nécessitera du temps. On devra apprendre à décoder le sens de la manifestation de leurs comportements et à les considérer comme un langage à découvrir.
Même un enfant de deux ans dit normal réagira devant le cadavre d’un oiseau. Les personnes dont la limitation intellectuelle est moyenne, voire profonde, réagissent également face à un être animal ou humain inanimé. Elles peuvent saisir la réalité matérielle de la mort. D’où la très grande importance de l’accompagnement de ces personnes auprès de leur parent malade en fin de vie et aux divers rites funéraires prévus par les proches.
La visite au salon funéraire ou au cimetière
Il est important de préparer la personne à la visite d’un lieu funéraire, car il est plus que probable que la plupart n’auront jamais eu l’occasion de se présenter dans de tels lieux. Comment expliquer à quelqu’un qui ne possède pas de langage verbal ce qu’est un salon funéraire ou un cimetière ? Vous devrez être créatif en utilisant des symboles, gestes, mimiques et jeux de rôle significatifs pour cette personne. Il est aussi possible de s’appuyer sur certains livres illustrés qui touchent à ce sujet.
Parfois, les membres de la famille immédiate craignent diverses réactions inadaptées de la part de la personne qui a une déficience intellectuelle. Ils acceptent plus facilement que la visite au salon funéraire ou au cimetière ait lieu à un moment où peu de visiteurs seront présents. Comme la grande majorité des craintes anticipées ne se réalisent généralement pas, il est fréquent que la famille demande que leur frère ou leur soeur demeure plus longtemps auprès d’elles, même lorsque les visiteurs extérieurs seront présents.
Attitudes à privilégier dans des lieux funéraires
Avant même d’aller saluer les membres de la famille, nous suggérons de diriger immédiatement la personne auprès du cercueil ou de l’urne et de prendre le temps d’y demeurer en silence au moins quelques minutes.
Si le cercueil est fermé ou que les cendres du défunt ont été déposées dans une urne, il sera primordial de s’assurer qu’au moins une photo du défunt soit placée à proximité. Pour les personnes encore plus limitées, une photo ne suffira pas. Pour faciliter le deuil chez ces dernières, on pourra apporter un objet qui appartenait au défunt et que la personne sera en mesure de reconnaître.
Si le cercueil est ouvert, on peut inviter la personne à s’en approcher en lui disant : « Regarde, c’est ta maman. Elle est morte, comme ton papi. » Si c’est approprié, on peut l’inviter à toucher le défunt, à lui faire une caresse. Si elle a apporté une fleur, un dessin ou un autre objet, il ne faut pas oublier de lui permettre de déposer son présent.
Il n’est pas nécessaire que la durée de ces visites soit longue, mais il faudra veiller à ce qu’elles se déroulent dans une atmosphère de centration et de recueillement. Il est important de rester bien centré sur ce qu’on vient y faire.
Offrir son soutien
Plus les personnes seront limitées dans leur intelligence, plus l’accompagnement devra être ajusté en conséquence.
Leurs ressources personnelles
Peu importe le degré de gravité de leur handicap, ces personnes possèdent de nombreuses habiletés qui peuvent être d’une aide précieuse dans leur deuil.
On peut maintenant affirmer que toutes les personnes présentant une déficience intellectuelle vivent les mêmes étapes de deuil que les personnes dites normales. Nous devons toutefois garder à l’esprit que le rythme de la manifestation de leur deuil sera différent, souvent échelonné sur une période beaucoup plus longue et régulièrement manifesté par des comportements qui compensent le manque de mots pour pouvoir communiquer leur vécu.
Marielle Robitaille
Psychologue
À propos de l’auteure
Marielle Robitaille pratique la psychologie depuis 1982. Elle s’est intéressée particulièrement au langage des troubles de comportements que certaines personnes présentant une déficience intellectuelle pouvaient manifester. Dans son livre La peine des Sans-Voix, elle propose plusieurs moyens pour mieux accompagner ces personnes lorsqu’elles vivent un deuil. Vous pouvez vous procurer son livre en écrivant à l’adresse suivante : mrobitaille9@sympatico.ca
C'est très difficile de jaser de ça avec eux.
Danielle Gaudet , 22 février 2023