J'ai eu l'immense bonheur d'avoir deux fils. Je leur ai donné le meilleur de moi-même et j'ai essayé de leur transmettre les valeurs importantes à mes yeux. Ils tiennent une grande place dans mon cœur et ont illuminé ma vie... Puis, tout à coup, sans crier gare, un jour de mars 2013, mon existence a basculé. Mon fils cadet, âgé de 25 ans, a décidé d'en finir avec la vie. Aucune note, aucun message d'adieu. Son geste, hélas, nous dévoile toute sa détresse.
Mais de quel mal souffrait-il? Nous ne le savions même pas.
Quand un proche commet l'irréparable, c'est une tragédie sans nom qui se dessine soudainement. Toute notre vie se retrouve sens dessus dessous, sans préavis. Cette onde de choc sera longue à absorber et elle sera ponctuée de torrents de stress et de larmes. On ne se résigne pas devant ce genre de départ précipité et inattendu. C'est un choc qui ébranle toutes nos fondations. La douleur ne se partage pas. Nous ne pouvons pas la céder quelques minutes à quelqu'un d'autre afin de mieux respirer.
Dorénavant, une seule chose est certaine : notre vie ne sera plus jamais la même. Il n'y aura pas de retour possible. La façon d'aborder et d'accepter cette épreuve orientera toute notre survie.
Au début du deuil, réussir simplement à démarrer chaque journée représente tout un exploit. Quand on traverse un tsunami affectif, survivre est un mot impossible à envisager. La souffrance nous tenaille en permanence. Et si nous ne voulons pas sombrer, il faut apprendre à se relever et à accepter qu'il y ait beaucoup d'allers-retours dans la tristesse. Mais se relever n'est pas évident quand le courant de la vie nous amène déjà ailleurs.
Lorsque nous sommes submergés par l'émotion, le raisonnement n'existe plus. Le déni et la colère constituent des étapes que certaines personnes doivent traverser pour parvenir à se libérer. Elles sont directement reliées au chagrin et à la perte. Quand nous perdons nos repères, notre vie intérieure devient une inconnue et on se retrouve seul. Tout ce que nous avions planifié ou tout ce que l'on avait tenu pour acquis tombe à l'eau. Il est bon de savoir qu'avec le temps, les émotions sont moins vives. Mais le temps n'arrange pas tout.
Survivre, c'est se reconstruire sur des ruines. C'est parfois se faire violence pour parvenir à se relever. C'est réaliser que nous ne sommes pas morts en même temps que celui qui est parti. C'est avancer sur son propre chemin en vivant son chagrin et sa perte sans s'isoler de la réalité. Quand nous évoluons dans notre processus de deuil, il faut se réinventer un avenir, dans un présent qui est vide de sens, avec un passé auquel on demande de dire adieu.
À la suite du départ d'un être cher, il est impératif de trouver, au fond de soi-même et au-delà de la souffrance, cette lumière intérieure qui permet d'avancer et de traverser cette épreuve. Quand la souffrance s'amenuise, cette lumière prend un peu plus d'importance. Elle symbolise l'espoir. Cette lumière qui vient tout droit du cœur nous guidera sur le chemin que nous aurons à parcourir.
Ma façon à moi de survivre a été d'envoyer à mon fils des pensées d'amour et de lumière à répétition. C'était instinctif. Je lui donnais tout ce que j'avais quand je réussissais à avoir un petit quelque chose à donner. Ça m'aidait à me tenir debout. C'était mieux que de penser sans arrêt au désarroi qui l'avait habité.
Puis, vient un jour où l'on doit se poser la question suivante : que voulons-nous faire du reste de notre vie, malgré l'absence? Il faut apprendre à affronter la peur du vide, et cela demande énormément de courage pour envisager un lendemain, sans rien attendre en retour. Cela peut ressembler à une interminable traversée, sans destination finale, sur un bateau clandestin. On part à la découverte de soi, alors que notre vie tangue et que notre cœur prend l'eau.
L'écriture a été pour moi une forme d'exutoire qui m'a énormément aidée. Elle m'a permis de libérer une pression intérieure et est devenue un outil précieux. Jour après jour, j'ai mis sur papier mon ressenti, mes émotions et mon vécu. J'ai aligné des mots sur mes maux et j'ai avancé lentement vers une forme de positivisme. De là, j'ai choisi de rendre publics mon cheminement et mes réflexions. Survivre au suicide d'un proche est l'aboutissement d'un long travail de deuil. Si chaque livre a sa mission, la mission du mien est de tendre la main et de permettre à d'autres personnes endeuillées par suicide de briser le tabou qui entoure leur désespoir.
Aujourd'hui, l'amour que je ressens pour mon fils décédé a transcendé tous les niveaux de souffrance. C'est devenu un lien qui m'alimente et qui ne mourra jamais. Chaque jour, je fais un pas de plus dans cette nouvelle direction que la vie m'a imposée un soir de printemps, et qui me rappelle que la mort n'est pas une finalité.
Même si notre fils a choisi de s'enlever la vie, sa mort aura tout de même permis d'en sauver d'autres par le don d'organes et de tissus. Un choix qui a finalement été un baume pour moi, car le cœur de mon Mathieu peut encore continuer de battre, malgré tout.
Après la perte d’un être cher, chaque jour est à créer sur le chemin du deuil. Il faut savoir choisir les couleurs et les outils qui nous conviennent. Ils nous aideront à grandir et à façonner notre avenir. Voici quelques outils qui m’ont aidée :
Odette Bisson, écrivaine
Publié dans la revue Profil - Printemps 2016