Cela fait longtemps que je pense à t'écrire... - Vos textes | La Gentiane - Deuil - Entraide
 

Cela fait longtemps que je pense à t'écrire...

Cela fait longtemps que je pense à t'écrire...

Ce témoignage prend la forme d'un courrier que j'adresse à mon mari qui est mort le 2 octobre 2000. Âmes sensibles s'abstenir...*  *  *

Cher Philippe,

Cela fait longtemps que je pense à t'écrire une lettre, mais jusque maintenant j'ai trouvé cela ridicule, voire grotesque. J'ai aujourd'hui un besoin impérieux de le faire, je sens que cela va me faire du bien.

Cela fait maintenant 7 mois ½ que tu t'es pendu. Parfois je pense à ce délai comme à une période de gestation et je me dis : « Tiens, si j'étais enceinte, je devrais bientôt accoucher ». Quelle horreur de penser cela. Mais l'esprit est ainsi fait que tout vous passe par la tête dans ces moments-là, c'est une façon de sortir les choses difficiles de soi.

Difficile, c'est vraiment le mot. Si tu savais à quel point je t'en veux. Je suis sûre que même en nous écrivant ton « mot de départ » où tu nous demandes « de ne pas te pardonner, mais de comprendre ton geste », tu n'as pas imaginé à quel point, non seulement je n'ai aucune envie de te pardonner, encore moins de comprendre que l'on se suicide pour un truc aussi futile qu'un petit projet de travail de rien du tout, mais que je t'en veux à tel point qu'il m'arrive de te souhaiter L'ENFER, histoire que tu comprennes (oui, car c'est plutôt à toi de comprendre) ce que l'on vit sur terre.

Avant de te passer la corde au cou et la chaîne autour des poignets, t'es-tu demandé une seule fois quel effet cela fait de voir tous les jours ces deux petits êtres innocents que sont nos enfants (4 ans et 15 mois) et se dire : « Ils n'ont rien demandé et ils sont déjà punis par la vie » et tous les soirs de mon existence de penser à ces deux petits êtres innocents et de me redire qu'ils n'ont rien demandé et qu'ils sont déjà punis par la vie. Que Vincent ne verra plus jamais son Papa et qu'Agnès n'aura jamais vu son Papa.

Non, trop préoccupé que tu étais de ne pas te rater, ça ne t'a même pas effleuré. Tu m'as demandé dans ton mot de « prendre bien soin des enfants ». Fastoche de dire cela quand on fuit la vie comme un rat péteux. Il m'arrive parfois de me rassurer en me disant que s'il y a une justice là-haut tu dois être en train d'en baver comme nous. LÀ JE DIS : BIEN FAIT !!!!!! Tu ne t'es pas demandé non plus ce que j'allais dire à tes enfants quand ils seront en âge de comprendre et qu'ils me poseront plein de questions... NON, ça t'était égal, l'important c'était de ne pas te rater toi, mais que la vie des autres soit ratée à cause de toi, tu t'en foutais.

Et qu'on ne vienne pas me dire : « Vous comprenez, votre mari n'était pas bien, il était dépressif, il ne faut pas lui en vouloir... ». Pas lui en vouloir d'avoir pourri la vie de mes gosses et la mienne...?!?

C'est vrai qu'au départ, j'ai eu énormément pitié de toi, je te le disais. Mais quelques mois après, le motif de ton suicide me semble tellement futile par rapport à la tonne d'emmerdements à laquelle je dois faire face, même s'il est vrai que la raison que tu as invoquée n'est pas la vraie, qu'en réalité tu étais mélancolique et que tu as projeté ton mal-être sur ton boulot. Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé sérieusement ?

Non, au lieu de cela tu as bien « préparé » ton suicide, en faisant bien attention que je ne me rende compte de rien. Tu avais tellement bien prévu ton coup que la semaine avant ta mort, tu semblais soulagé, bien dans ta peau et tu étais souriant. En fait, tu avais déjà pris ta décision, et moi j'ai cru que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Tu parles, le lendemain je t'ai découvert dans le parking, les mains attachées dans le dos, pendu !

Ca fait un sacré choc, surtout quand on s'attend à tout sauf à ça. Je pense que je t'en aurais moins voulu s'il n'y avait pas eu les gosses. Comment as-tu pu faire passer ta petite personne avant ces deux petits êtres innocents. D'autant que je te rappelle que c'est toi qui as tenu ABSOLUMENT à avoir des enfants, tu en voulais trois, EN PLUS.

Ben, voyons ! Tu l'aimais ton fils... et lui t'adorait. « Papa Philippe » comme il disait, tu étais tout pour lui. Parfois, j'en pleurerais, j'imagine quelle serait sa réaction si tout à coup tu arrivais à la maison, comme si de rien n'était. Comme il ne comprend pas la mort, il trouverait cela logique de te voir arriver. Il te sauterait au coup en disant : « Papa Philippe, mon Papa Philippe ». C'est dur d'imaginer de telles choses. J'ai l'impression qu'il t'en veut aussi, je m'en rends bien compte, quand il me dit : « Z'en ai marre de plus avoir de Papa, ze veux un Papa », ou à sa manière de froncer les sourcils quand je parle de toi. Eh oui, ça m'arrive, je le fais toujours gentiment, non pour honorer ta putain de mémoire, mais pour ne pas les faire souffrir encore plus.

Je t'en veux, si tu savais à quel point, tu te dépêcherais de revenir sur terre pour réparer le mal que tu as fait. Et dans mes séances de vocifération et de haine contre toi, je n'hésite pas non plus à te comparer à Hitler, disant que tu auras fait autant de mal sur terre que ce salopard. Je m'en suis même pris à Dieu, je L'ai insulté de n'avoir rien pu faire. À quoi sert-Il, ai-je pensé, s'Il laisse les gens mourir dans des camps, se faire massacrer ou se pendre ? J'ai fait la paix avec Lui, car on ne peut pas se rebeller contre tout, la vie serait insoutenable et je préfère croire qu'il y a un Dieu.

POURQUOI IL A FAIT CA ? c'est la question que je me pose en continu, et même si je n'ai pas envie de me la poser elle est là en permanence. Tu avais tout pour être heureux, et tu nous l'avais dit que tu étais heureux avec ta « petite famille » deux semaines avant ta fuite. QU'EST-CE QUI T'A PRIS ALORS ? On n'a pas le droit de péter les plombs quand on a des enfants. Tu n'as même pas vu ta fille le jour de son premier anniversaire (eh oui, tu t'es suicidé le jour de ses huit mois), tu n'as pas vu sa première dent, tu ne l'as pas vue le jour où elle a marché la première fois.

Je pense que cette lettre sera amenée à être modifiée au fil des ans. Mais pour l'instant je n'éprouve qu'une immense colère. Je ne supporte pas que tu aies pu faire du mal aux enfants à ce point.

SALUT

Signé : Ton ex-femme, mère de tes deux pauvres victimes.

Laurence
Paris (France)

Classé dans : Lettres Publié par : La Gentiane - Deuil - Entraide Date : 18 mai 2001