Au cours des trois derniers mois, trois décès m'ont entourée, un par mois. Si j'écris aujourd'hui, c'est pour rendre hommage à une petite fille qui n'avait rien demandé, une petite fille prénommée Juliette. Tu n'avais que dix ans à peine, je revois tes jolies petites mèches blondes ondulant sur ton front, les fossettes au creux des joues lorsque tu riais, tes yeux malicieux pleins de vie et d'envie. Le monde va mal les enfants, lorsqu'un père décide d'en finir avec la vie car il ne supporte pas que sa femme le quitte, qu'il boit outre mesure et prend le volant avec ses deux filles à l'arrière... heureusement pas eu le temps de comprendre ce qu'il se passait, enfin je pense, j'espère, mais elle n'a pas eu le temps de souffrir, c'est certain...
J'aimerai donner les détails, j'aimerai crier ce qu'il a fait, mais pour vous je ne voudrais pas, car l'image d'une fillette blessée comme elle l' a été pourrait vous faire vraiment mal, et à moi aussi. Mais comment a-t-il pu ? La voiture, sur ligne droite, fit environ dix tonneaux.
De l'accident, seule mon autre cousine de 13 ans survit avec quelques fractures et un bras presque perdu, mais heureusement en rééducation. Elle resta plus d'une heure, bloquée dans la voiture entre son père et sa soeur décédée avant qu'on ne vienne les secourir... Dans moins d'un mois, cette cousine viendra passer dix jours à la réunion chez moi, mais l'ambiance risque d'être lourde, elle est traumatisée.
Juliette me manque tant, je ne la baignerai plus, ne la nourrirai plus, ne la coifferai plus comme avant, et voir sa soeur sans elle nous sera à tous, comme à elle, un poids terrible, le poids de l'absence, de la mort.
Comment ce père de famille a-t-il pu vouloir emmener ses deux filles innocentes, si jeunes, si pures, dans sa chute ??? Je ne trouve pas cela normal, c'en est révoltant. Si c'était ton choix, P., il fallait y aller seul !!!!
Et mon ami E., suicidé lui aussi plus radicalement , comment l'hôpital où il était n'a-t-il pas pu l'empêcher de faire ça ?? Je sais que ce n'est pas de leur faute mais je leur en veux quand même. Il était malade depuis des années, n'en était pas à son premier coup d'essai, il ne dormait plus, et entre 3h et 4h du matin, il a passé le cap. Le plus dur est qu'il l'avait préparé.
Nous tous, autour de lui, étions préparés à quelque issue fatale de la sorte, mais le choc n'est jamais aussi douloureux que l'on aurait pensé. On ne peut se préparer à la mort d'un être avec qui on a habité, qu'on a soigné, qu'on a aimé, qu'on a aidé, mais pas assez apparemment...
J'ai peur que la mort ne vienne à nouveau frapper à ma porte, à côté. Quand on ne s'y attend pas, une fois ça fait mal. Quand c'est deux fois, on se dit que c'est le sort. Quand c'est trois fois... Certains diront qu'il y a des périodes comme ça. Je pensais comme beaucoup que ma famille ne serait pas touchée par cela, que mes amis seraient toujours là à défaut de mésentente. Là, j'attends avec appréhension le 10 et 20 Juillet car J. est décédée le 10 août, P. Le 20 Septembre et E. le 20 Octobre... Je sais, cela peut paraître bête comme raisonnement mais...
Ces événements sont trop proches et de toute façon seul le temps dira ce qu'il se passe, je sortirai le 20 décembre. En attendant... Il faut prendre soin de ce que l'on aime, ne pas se fâcher pour des broutilles, je sais que ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, mais c'est une chose qu'il ne faudrait jamais cesser de répéter, dire à ceux qu'on aime qu'on les aime, ne pas se quitter fâché, leur dire de faire attention. Quand je prends la voiture, j'attends que ma mère me dise « sois prudente »,cela peut faire sourire, mais moi j'en ai besoin...
Voilà, je voulais juste vous parler un peu de tout ça, je n'avais jamais connu la mort d'aussi près, je ne sais pas trop encore comment gérer tout ça. Les jours se suivent et se ressemblent trop au final. Occulter la mort, c'est ce que j'essaie de faire. J'ai en moi trop de questions auxquelles aucune réponse ne vient se coller, tant de haine envers mon oncle, J. n'avait rien demandé, rien fait, ce petit ange n'a eu qu'un commencement de vie. V., sa soeur, est traumatisée physiquement et psychologiquement, elle se retrouve seule, sa mère ne refaisant pas surface depuis le drame, et E., dont le geste me semble cohérent mais qui me remplit d'effroi et d'incompréhension, de colère de l'avoir laissée, sa compagne, et tellement de problèmes à résoudre.
Je ne comprends pas que l'on puisse en arriver à un point tel que plus rien d'autre ne nous apparaît comme issue de secours que le grand saut, non, cela me dépasse, car comme dit un adage populaire : « Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir », pas vrai ?...
Évanescence (V.J.L.)
(France)