Mon amour, regrettes-tu ? - Vos textes | La Gentiane - Deuil - Entraide
 

Mon amour, regrettes-tu ?

Mon amour, regrettes-tu ?

Mon amour, regrettes-tu ?     Tu as été pilote de chasse pendant vingt ans dans l'armée de l'air. Lors de tes différentes participations à des conflits, je n'ai rien dit, j'ai tout accepté. J'ai accouchée seule par césarienne pour notre premier enfant, ta localisation était « secret-défense » et on ne pouvait donc pas t'avertir.

Quand tu as quitté l'armée j'ai ressenti une de mes plus grandes joies. J'allais enfin retrouver un peu de paix, oublier les copains morts tout au long de ces années, ou du moins essayer de moins y penser. Il en est un, Pierre Parent, dont la mort en vol m'a fait beaucoup de mal.

Et puis non, tu tournes le dos à Air France et décide de postuler à la Sécurité civile que tu intègres en 200O. J'ose me révolter, j'estime avoir tenu ma part du marché et mérité un peu de repos. Je ne veux plus trembler à chaque seconde de ma vie, je ne veux plus pleurer quand j'entends qu'un avion s'est crashé et que je n'ai pas pu te joindre. Depuis nos 20 ans je tremble de te perdre, je me détruis à petit feu parce qu'au fond de moi je sais que je te perdrai un jour et je ne peux supporter cette idée. Mais tu ne peux pas et après diverses argumentations de ma part, dont le salaire d'Air France 4 fois supérieur, tu m'assènes la phrase qui tue ; tu as besoin être utile aux autres. Je ne peux plus rien te répondre, je sens que ton bonheur passe par là, tu as toujours adoré les Canadairs. Alors je me tais, et je subis encore et encore.

Un été un Canadair se crashe, le copilote, marié avec des enfants, se tue. Une autre année, un autre Canadair, le commandant de bord et un jeune stagiaire se tuent. J'ai eu tellement mal pour la femme du commandant de bord qui avait déjà perdu un fils d'une sale maladie. Encore un Canadair, deux morts, un tracker, un miraculé. Encore un tracker, deux morts, dont toi mon amour, le 20 Août 2005 à 10 heures 04 min.

Ta fille de 17 ans l'a appris par la télé. N'es-tu pas en colère de cela ? Moi et Lucas n'étions pas à la maison et l'avons appris par des tiers. C'est moi qui ai dû téléphoner à Marignane où on m'a balancé de service en service avant d'oser me dire que oui, c'était bien toi. N'es-tu pas en colère de cela ?

Moi je suis en colère, parce-que ton choix de carrière était égoïste. Oh oui, tu es un héros. On t'as cité à l'ordre de la Nation, tu as été fait chevalier de la Légion d'Honneur, tu as reçu la Croix d'Or du Courage et du Mérite. Et alors, ça ne te ramène pas à moi. Oui, je t'en veux mon amour, parce qu'après vingt ans d'enfer je méritais un peu de repos, je méritais de m'endormir sans prier qu'il n'y ait pas de  feu. Je méritais de ne plus passer mes soirées le front collé à la vitre parce que tu étais en retard et que je voulais cacher mes larmes aux enfants. Je méritais de ne plus entendre parler de la mort de copains qui faisaient le même métier que toi. Je méritais tout ça et plus encore.

Mais je t'aimais, et l'amour, c'est accepter l'autre. Alors j'ai tout accepté sachant au fond de moi que nous  ne vieillirions pas ensemble. La vie m'a donné raison. Elle a juste oublié que je t'aime au-delà de la mort et que j'attendrai, le temps qu'il faudra.

Alors est-ce que je t'en veux ? Non, car ce serait renier ce que tu étais et je ne le veux pas, je t'ai aimé comme cela, des idéaux pleins la tête. J'étais tellement différente de toi que je pense que quelque part je devais faire partie de ton idéal.

JE T'AIME POUR L'ÉTERNITÉ.

Ta coco

Classé dans : Lettres Publié par : La Gentiane - Deuil - Entraide Date : 10 mars 2006