Que comprennent les enfants à la mort ? Que faire avec eux ? Associer les enfants à la mort semble insolite. Ils ont toute la vie devant eux, dit-on. Hélas ! la mort touche aussi les enfants, qu'il s'agisse de la leur ou de celle de gens de leur entourage : une maman meurt du cancer ; un papa est victime d'un accident ; un frère se suicide ; une grand-maman âgée décède ; le bébé attendu meurt à la naissance...
Elle les environne aussi socialement : ils voient des dizaines de personnages mourir à la télévision ; ils entendent des conversations où les parents évoquent la mort d'un tel ou d'une telle ; ils meurent dix fois par semaine en jouant au ballon chasseur ou à des jeux de combats imaginaires dans le parc du quartier. Nous pouvons donc dire que le concept de mort chez les enfants se développe graduellement. Il est lié à l'âge des enfants et modulé par leur expérience de la vie.
Dès la naissance, le bébé commence son apprentissage de la vie. Son corps et ses sens lui donnent les repères pour se développer. Il est proche de maman et papa et en dépend pour un peu tout : manger, changer la couche, gazouiller, sourire, être bercé. Sensible à ce qui se passe autour de lui, il réagit et s'exprime autrement qu'avec les mots ou les idées.
Quand survient la mort, il ne comprend pas en pensées ni en mots, mais n'en ressent pas moins qu'il se passe quelque chose d'inhabituel. Il perçoit des changements si un très proche meurt. Il n'entend plus la voix du parent, n'est plus touché de la même façon, voit son horaire perturbé. Le climat familial étant empreint de larmes et de tension, il ressent de façon sensorielle « l'électricité dans l'air ».
Tout parent d'un enfant de deux ou trois ans vous dira combien il bouge, touche à tout et explore la maison de fond en comble. Son expérience de la vie est concrète, égocentrique et motrice. À trois ou quatre ans, il donne vie à son ourson et cause avec sa poupée. Doté d'une forte imagination, on dit qu'il expérimente la pensée magique. Monstres, fées, amis imaginaires et autres personnages font partie de sa vie. De plus, le temps est une notion qu'il ne maîtrise pas. Il jalonne la vie de repères bien concrets comme le temps du dodo, le temps de manger.
Cela explique la compréhension limitée de la mort des jeunes enfants. Elle est d'abord associée à l'immobilité. « Arrête, tu es mort », disent-ils en jouant. Pour eux, la mort est aussi temporaire et réversible. Comme au jeu, lorsqu'on a fini d'être mort, on reprend ses activités. Cette représentation de la mort entraîne son lot de questions chez les enfants. Ainsi, les jeunes de la maternelle demanderont au directeur d'école « Quand madame Tremblay aura fini d'être morte, va-t-elle revenir dans notre école ? » Les enfants revenant du cimetière interrogent les parents pour savoir s'il y aura de la lumière dans le cercueil sous terre ou encore demandent si on peut enterrer le vélo de leur frère pour qu'il s'amuse au ciel.
Les enfants vieillissent et leur rayon d'action s'élargit. Ils ont la permission de s'éloigner de la cour arrière et peuvent jouer avec des amis. Avec l'entrée à l'école, les milieux de garde et les milieux de jeu collectif, ils côtoient des gens de différents âges. Les jeunes de six ou sept ans savent donc maintenant que les gens vieillissent. Mais attention, il n'y a pas que les gens âgés qui soient vieux à leurs yeux ; papa et maman sont eux aussi vieux.
On leur a aussi dit que la maladie pouvait parfois être grave et qu'il arrivait que des gens très malades meurent. Ils croient savoir ce qu'est être malade. Ils ont eu le rhume, mal au cœur ou mal au ventre. Quand ils sont tombés en courant ou se sont brûlés sur un chaudron chaud, là c'était grave. Grave parce que cela saignait ou grave parce que cela faisait mal. Alors, si les gens gravement malades peuvent mourir, comme le disent les adultes, ça donne à penser aux enfants. Voilà qu'arrive Paul en courant auprès de sa mère grippée qui lui demande combien ça prend de grippes pour mourir. Voilà que Mimi demande des aspirines à sa mère parce qu'elle tousse fort et elle ne veut pas mourir comme grand-papa emporté par un cancer du poumon.
Chez les enfants d'âge scolaire, la notion du temps s'affine. Ils ont aussi compris qu'on peut s'absenter un temps plus ou moins long et revenir. Ils commencent donc peu à peu à comprendre ce que jamais et toujours signifient. C'est autour de huit ans qu'ils sauront que la mort est définitive et irréversible. C'est donc autour de huit ans que les enfants se représentent la mort un peu comme le font les adultes. La mort, c'est la fin de la vie, fin des fonctions biologiques, c'est pour toujours et c'est irréversible. Avec le temps, ils en viendront à intégrer l'idée que la mort est universelle et qu'un jour, tout le monde passe par là.
Savoir ce qu'est la mort quand la vie s'écoule normalement est une chose. Y réagir quand elle frappe la famille ou des proches est autre chose. Que dire ? Que faire ? Le premier conseil est de parler aux enfants à leur niveau et selon leur compréhension de la mort comme nous l'avons vu précédemment. Adopter un langage simple à la portée des enfants est essentiel. Il est aussi utile de vérifier ce que recouvre une question d'enfant. Par exemple un « comment grand-papa est-il mort ? » peut renvoyer au fait de savoir si grand-papa était dans son lit ou s'il avait mal au ventre ou à la gorge. La réponse sera simple. Il importe d'être clair et de vérifier si l'enfant comprend. L'inviter à poser d'autres questions plus tard est aussi indiqué.
Même s'ils savent ce qu'est la mort, les enfants vivront le deuil avec les influences de leurs expériences antérieures et celles de leur contexte de vie actuel. Le deuil est personnel, mais associé à la qualité des relations familiales, au type de décès, à la disponibilité du soutien. Au-delà de la compréhension de la mort, y réagir et expérimenter le deuil entraînent des bouleversements dans toutes les sphères de la vie. Les sens, l'intelligence, les émotions et l'esprit ou âme sont affectés qu'on soit adulte ou enfant. Mais au-delà de ce que l'on peut dire aux enfants sur la mort, il importe aussi de réfléchir à la façon d'agir quand ceux-ci sont endeuillés.
Lucie Fréchette, docteure en psychologie
Photo : Pixabay
Publié dans la revue Profil