« À la différence des pratiques quotidiennes du passage du temps, le rituel comporte une part symbolique importante : d'une part, on l'investit en croyant au fait qu'il nous fera mieux être et, d'autre part, il renvoie à un ordre supérieur qui nous sécurise et renforce notre humanité : le groupe, les éléments naturels, les croyances en une puissance surnaturelle », explique Luce Des Aulniers, anthropologue et professeur au département des communications ainsi qu'au Centre d'études sur la mort de l'UQAM.
« De façon générale, le rite marque des changements dans le temps », reprend Mme Des Aulniers. « Ils soulignent ce de quoi l'on se sépare, à quel état antérieur ou à quelle personne on apprend à renoncer. De plus, ils permettent de ressentir, à des degrés variables ce que le changement ou la perte suscite en nous. »
Lorsqu'un proche décède, une lourde charge émotive plane habituellement au sein du groupe de personnes qui gravitaient autour de lui. C'est pourquoi la pratique des rites funéraires implique généralement le rassemblement de gens qui, dans un endroit et à un moment précis, pourront ensemble donner forme à cette émotivité. « Les gens endiguent leur désarroi et leurs souffrances par les rituels comme certains endiguent leur violence par le sport », souligne Mme Des Aulniers. « Après la réception du caractère irrecevable de la mort, ils peuvent alors tenter de chercher un sens aux événements. En trouveront-ils un ? Pas nécessairement. Néanmoins, le simple fait de chercher leur permet de ne pas se sentir totalement impuissants face aux événements et surtout, mine de rien, de recréer ensemble du "vouloir-vivre". »
Dans la religion catholique, l'ensemble des rites traditionnels comprend la visite au salon (exposition), la cérémonie funéraire, la procession (cortège quittant l'église et se rendant au cimetière), la réception après les funérailles, la disposition du corps et la cérémonie commémorative. « Évidemment, les pratiques varient beaucoup et aujourd'hui, les gens ne s'en tiennent pas toujours à toutes ces étapes », affirme Yves Perreault, prêtre au service de l'éducation de la foi au diocèse de Sherbrooke et titulaire d'une maîtrise en théologie. « Néanmoins, il est important de souligner que les rituels, funéraires ou non, suivent toujours une certaine progression. Ils comprennent un moment qui marque le début, soit l'exposition dans le cas des rites funèbres. Ensuite, nous retrouvons un certain déroulement, qui est représenté ici par la procession vers le cimetière et, en dernier lieu, une fin, qui doit souligner la disparition de la personne, soit la disposition du corps. »
Chaque religion et chaque culture possèdent des rites qui leur sont propres et qui visent à souligner la fin d'une vie. Au-delà des différences, les similarités sont nombreuses : le fait de se regrouper, la progression dans le temps, l'expression de sentiments, la présence de symboles et de gestes significatifs, les jalons qui marquent un passage d'un état à un autre.
Plusieurs auteurs et psychologues déplorent que le caractère tabou qui entoure la mort dans notre société amène certaines personnes à vouloir « bâcler » ces rituels afin d'en finir au plus vite avec ce moment, espérant passer plus rapidement à une autre étape.
Les formules rapides du type « sans exposition » sont aujourd'hui plus courantes. Si pour certains cette option est pleinement réfléchie, pour d'autres elle cache simplement un déni face à la mort. « Beaucoup de gens qui avaient décidé de ne pas exposer le défunt ont eu par la suite du mal à faire leur deuil, soutient Yves Perreault. Ils avaient alors l'impression que quelque chose n'était pas conclu dans leur relation avec la personne décédée. On pense que ce sera moins triste et dérangeant s'il n'y a que de courtes funérailles ou s'il n'y en a pas du tout. C'est pourtant le contraire qui se produit... Mais aujourd'hui, tout presse et tout se règle rapidement. Les rites funéraires ne font donc pas exception. »
Peut-être serons-nous alors tentés de nous référer avec nostalgie aux traditions funéraires d'autrefois, qui permettaient aux gens d'être reconnus dans leur peine par toute une communauté, et ce, pendant une année complète. Luce Des Aulniers nuance cette opinion. « Traditionnellement, l'endeuillé avait le droit, socialement, d'être triste pendant une longue période de temps. Par contre, pouvez-vous imaginez la personne qui entretenait des relations mitigées avec le proche disparu ? Cette dernière devait elle aussi porter le deuil en s'habillant de noir pendant un an, ou se priver de certaines activités, alors que cette perte ne l'affectait pas nécessairement de la même façon que les autres. La construction du deuil s'avérait donc très lourde. Elle présumait que toutes les relations affectives étaient les mêmes. »
Dans une quête de sens face à la perte, il est de plus en plus commun que les familles demandent des rituels personnalisés qui visent à marquer par des gestes, des souvenirs et des objets le caractère particulier et les goûts du défunt. Le domaine funéraire est en évolution et les coopératives tentent de favoriser cette évolution lorsqu'elle permet aux personnes de mieux vivre les événements qui les touchent.
Comme la tendance des rituels personnalisés se développe de plus en plus, il arrive – rarement ! – que certaines demandes soient assez singulières. M. Yves Perreault, qui travaille auprès des familles endeuillées, en a vu de tous les genres. « Certains veulent amener de la bière au salon et lever leurs bouteilles à l'unisson pour rendre un dernier hommage au défunt. Dans des cas comme celui-ci, je pense que l'important est de savoir qu'un rituel doit, d'abord et avant tout, véhiculer un sens. Il revient donc aux conseillers ou à tout autre intervenant du milieu de s'adapter aux réalités des personnes endeuillées sans jamais perdre de vue la raison d'être d'un rite. Il est donc primordial de faire preuve de beaucoup de discernement et d'écouter les personnes attentivement afin de comprendre leurs besoins et leur situation. »
Sources :
Michel Chartrand, Les voies d'un homme de parole, Fernand Foisy, Lanctôt Éditeur
Michel Chartrand, La colère du juste, Fernand Foisy, Lanctôt Éditeur
L'importance des rituels dans le processus de deuil
Pour Luce Des Aulniers, les rituels servent à réconforter les endeuillés, mais également à redéfinir celui ou celle qui n'est plus. « Le défunt n'appartenait pas seulement à une famille. Au salon funéraire, on retrouve plein de gens qui ne se connaissent pas. Il y a la famille, le groupe du bureau, celui du club de quilles, le cercle d'amis, etc. Ainsi, quand les proches rencontrent tous ces gens, ils réalisent que le défunt avait de l'importance pour d'autres personnes qu'eux-mêmes, et ce, bien au-delà de ce qu'ils pensaient. Dans le processus de deuil, cela vient énormément les consoler. Ils se disent alors qu'ils ne sont pas les seuls à subir une perte. De par les témoignages des autres, ils arrivent également à mieux définir l'être qu'ils ont perdu, à refaire en quelque sorte le puzzle de cette personne, ce à quoi elle croyait, ses valeurs, etc. »
Par Christine Tremblay