Je me suis toujours questionné sur le sens de la mort et de la vie, deux éléments intimement liés dans toute leur beauté. À travers mes expériences personnelles et ma vie professionnelle, où il m’est arrivé de côtoyer la mort, j’ai accepté de modifier mon regard sur l’un et l’autre. Combien de gens sont à la recherche d’un sens à leur vie, un sens à leur passage sur terre, à se demander ce qu’ils sont venus faire ici? À chercher leur mission et à être en mesure de la reconnaître? Comment fait-on pour être heureux et pour vivre sa vie heure après heure dans une conscience renouvelée? Comment se relier à sa spiritualité, à sa lumière intérieure? Cette connexion intérieure permettrait-elle de mieux vivre la plus grande facette de son identité?
J’ai appris qu’il est fondamental de comprendre que la mort donne un sens à la vie, car sans la mort, la vie ne serait qu’une route sans fin, sans but à atteindre, un abîme où les êtres vivants seraient seulement en vie tout simplement. La mort vient donc donner un sens à celui qui comprend que la vie doit être pleinement vécue dans tout ce qui la nourrit intérieurement.
Tout au long de mon parcours, certains principes se sont imposés et m’ont permis de redéfinir la vision que j’avais de moi-même et des êtres qui m’entourent. Je vous les présente brièvement à travers quelques expériences.
1re : Ne jamais hésiter à dire à nos proches que nous les aimons et pourquoi nous les aimons
De façon générale, mon adolescence s’est déroulée en l’absence de mon père, car il travaillait à l’extérieur pour subvenir à nos besoins. Je ressentais beaucoup de gratitude envers lui et je craignais de ne pas avoir le courage de lui exprimer mon amour pour tout ce qu’il faisait pour nous.
Un jour, à 18 ans, j’ai eu la chance de lui partager ce que je ressentais depuis plus de 6 ans. Sa réaction fut instantanée, il a éclaté en larmes. Il s’est levé, m’a pris dans ses bras et m’a dit : Je vais reprendre le temps perdu! Ce qu’il a fait.
Des années plus tard, mon père a fait quatre infarctus, dont le dernier fut quasiment fatal. Nous nous regardions dans les yeux, sans un mot. Une paix indescriptible était présente dans nos regards. Dès lors, j’ai su que l’heure venue, mon père pourrait partir en paix, car nous avions depuis longtemps pris le temps de nous dire qu’on s’aimait.
2e : La compassion permet de voir l’espace intérieur de l’autre et d’agir avec le cœur
Lorsque j’étais en stage de deuxième année dans le programme des soins infirmiers, on me confia un homme agressif et colérique qui avait subi un ACV avec perte de la parole.
En me présentant à son chevet la première fois, il m’accueillit avec beaucoup de colère. Après avoir tenté d’entrer en contact avec lui par quelques interventions, il me fit comprendre par son attitude acrimonieuse qu’il valait mieux sortir de sa chambre. Comme j’étais étudiant et que c’était un patient difficile, j’aurais pu demander de changer pour quelqu’un d’autre, mais je me suis plutôt demandé où j’avais échoué. Puis, en l’espace d’un instant, j’ai compris.
Je me suis mis à la place de cet homme de 62 ans qui, deux semaines auparavant, travaillait en habit et cravate tous les jours comme agent d’assurance. Là, il se retrouvait cloué à un lit d’hôpital avec tous les mots dans sa tête, mais dans l’incapacité de dire ses besoins.
Plein de compassion face à cet homme en détresse, j’ai donc décidé de revenir à son chevet. Je lui ai dit que je comprenais sa colère et sa peur. Qu’elles étaient légitimes. Et plus je m’approchais de lui, plus il me regardait dans les yeux. Et lorsque je fus assez près de lui, il m’agrippa par la chemise et colla son front sur le mien en se mettant à pleurer. Ses larmes me disaient : Oui, toi, tu me comprends, tu me comprends…
Il est important de considérer l’espace où se trouve la personne devant nous. La regarder au-delà du jugement et de nos propres émotions. Cela nous permet de sortir de notre monde et de mieux saisir ce que la personne en face de nous est en train de vivre.
3e : Se comporter de manière à avoir un impact positif sur les gens autour de nous
Un jour que j’attendais mon tour dans une clinique, une femme, la larme à l’œil, discutait par téléphone mobile avec son fils. Puis, en parlant avec son époux, elle exprima qu’elle était trop bonne avec son fils. Je n’ai pas l’habitude d’intervenir dans une discussion qui ne me concerne pas, mais je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire qu’on n’est jamais trop bon quand on agit par amour. Sa réaction fut instantanée, elle m’a regardé en me disant : Vous ne savez pas le cadeau que vous venez de me faire. C’est alors qu’elle se leva pour venir me serrer dans ses bras.
Dans cette scène de vie, j’ai simplement écouté ma voix intérieure qui me disait d’exprimer mon opinion. Ce qui, du coup, a eu l’effet d’une prise de conscience chez la dame en question. C’est ce qu’on appelle faire la différence pour quelqu’un.
4e : Le pardon nous libère des liens restrictifs
Le pardon est un acte de guérison personnel qui permet d’aller de l’avant en se libérant de ses attaches émotionnelles. C’est ce que mes expériences passées m’ont appris. Dans le pardon, il est souvent nécessaire d’essayer de comprendre celui ou celle qui nous a blessés afin d’arriver à voir ce qui se cache derrière la faute commise.
Mais on peut aussi choisir de pardonner pour se libérer et prendre son envol. Cela implique de lâcher prise sur des blessures, des événements, des paroles ou des comportements qui ont laissé des traces amères et parfois profondes. Plus la blessure est profonde, plus le pardon demande du temps et du travail sur soi-même. Choisir d’être heureux plutôt que de rester blessé permet d’avancer dans la voie du pardon et de passer à une autre étape où l’amour de soi et des autres reprend ses droits. Il est bon de se rappeler que lorsqu’on décide de ne pas pardonner, c’est souvent à soi-même qu’on fait le plus de mal.
5e : S’ouvrir à l’instant présent
Le lâcher-prise : comment peut-on traduire cette expression si commune… Le lâcher-prise, c’est de ne plus s’agripper au passé, mais s’ouvrir à l’instant présent. Ce n’est ni craindre, ni espérer en l’avenir, c’est se construire au présent. Si dans la vie vous prenez conscience que tout change, il n’y a rien à quoi vous essaierez de vous retenir! Le lâcher-prise nous porte vers la liberté afin de vivre l’essentiel dans nos vies, c’est-à-dire aimer de plus en plus.
En tant qu’être humain, nous devons nous donner la chance d’expérimenter la compassion, le respect des êtres, le pardon ainsi que le lâcher-prise. Tous ces éléments nous aident à accéder à une mort vécue dans la conscience et l’acceptation. Ainsi, peut-être un jour arriverons-nous à redéfinir la mort comme étant une fin qui n’a pas de fin.
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Luc Grenier a été infirmier spécialisé en soins critiques au département des soins intensifs du CIUSSS de Trois-Rivières de 1999 à 2014. Il a également été enseignant au département des soins infirmiers du Collège Shawinigan pendant 11 ans. Depuis, 2012, il est coordonnateur du Centre virtuel d’immersion clinique et vice-président de la fondation du Collège Shawinigan.
J'ai lu cet article avec amour. De toute beauté, ce fut un très beau moment de réflexion.
Merci.
Je viens de lire votre article sur un site que je découvre. Magnifique ! Je vous remercie de tout mon coeur et mon âme.
Lina
J'ai perdu ma jeune soeur en février dernier.
Son témoignage est super. Il va droit au but. Pour moi, ce qu'il dit vient directement de son cœur plein d'amour, d'amitié et de force. Et, il m'a fait repenser à la difficulté que j'ai eue à pardonner le geste de mon épouse. Pour moi, ce pardon a pris du temps. Et c'est le temps et les autres (ceux et celles qui étaient beaucoup plus mal en point que moi qui m'ont aidé non seulement à continuer à vivre mais surtout à me faire vivre un sentiment de pardon définitivement). Bien sûr que lorsque je lis des trucs comme ce que je lis dans ce module, des émotions viennent à fleur de peau. Et, quand ça arrive, j'essaie de les vivre à fond en les orientant vers des événements qui me rappellent les plus belles périodes avec la famille. Bien à vous et merci de votre collaboration.
Bonjour Luc,
Et merci pour ce très bel article.
J’œuvre auprès des personnes en fin de vie depuis maintenant 18 ans et je reconnais une part de mon cheminement à travers votre article.
J'ai aussi appris que mort et vie sont intimement reliées... que de savoir que la mort se trouve sur notre chemin à tous est ce qui donne aussi un sens à la vie, qui la rend plus riche.
Côtoyer des personnes en fin de vie et apprivoiser ainsi la mort permet donc de transformer notre regard, de prendre conscience de ce qui compte le plus et qu'on oublie dans le brouhaha du quotidien. Cela devient des moments extrêmement précieux et ces enseignements sont d'une grande richesse.
Merci pour ces touchantes réflexions.
Merci pour ce bel article. Il m'aide à cheminer dans mon deuil.
Luc, merci+++ pour ce témoignage touchant, plein de cœur et de compétence., plein de vie , quoi!
Yvon Bureau, 15 juin 2018J'aimerais tes réflexions sur les soins de fin de vie. Nous sommes entrés dorénavant dans l'univers des soins de fin de vie.
Terminer sa vie, en 2018, peut prendre plusieurs formes.
Si tu veux, lis mes 2 derniers articles:
- Bienvenue dans l'univers des soins de fin de vie
- La Loi sur les soins de fin de vie: 4 ans déjà.
Et probablement bientôt, si publiée : La Loi sur l'aide médicale à mourir: 2 ans déjà.
C'est désormais dans ce contexte légal que les fins de vie prendront racine.
Soins et accompagnements prendront donc autres formes. Mais toujours comblées par le respect de la personne jusqu'à SA fin, la compassion et la solidarité, la primauté du seul intérêt de la personne en fin de vie ou rendue à la fin de SA vie
Admiration et gratitude pour ton Faire et ton Être.
Yvon Bureau ts
http://www.collectifmourirdigneetlibre.org/blog.php