Véhicule ayant une place bien particulière dans l'imaginaire collectif, le corbillard constitue pour plusieurs un objet solennel associé à l'image traditionnelle du « croque-mort » habillé de noir. En tant que moyen d'amener les dépouilles des défunts vers leur dernière demeure, il a existé dans toutes les cultures sous différentes formes et de multiples appellations. Au point de vue étymologique, le mot « corbillard » provient de la ville française de Corbeil. À l'origine, il désignait une sorte de péniche qui faisait la navette entre Corbeil et Paris. Il a ensuite été employé pour décrire un carrosse bourgeois. Quant à son sens actuel, il date de 1798.
L'ancêtre du corbillard moderne naquit au Moyen Âge européen, époque où l'on adopta la coutume de construire des sarcophages de plus en plus lourds pour les défunts. Ces coffres (souvent faits de pierre) ne pouvant être transportés sur le lieu de l'inhumation, on les assembla sur place et ce furent plutôt les dépouilles mortelles qui furent déplacées. Sur son lit de mort, le défunt recevait les derniers sacrements (aspersion d'eau bénite, fumigation d'encens) par un ecclésiastique puis son corps était enveloppé dans un linceul de grosse toile appelée « sarpillière ». Seul le visage restait apparent. Le corps enveloppé était alors placé sur un brancard, appelé « bière », pour être porté, sur une courte distance, jusqu'au sarcophage selon un parcours rituel immuable. Après avoir déposé le corps dans le sarcophage et procédé au rituel de présentation du défunt, la « sarpillière » était cousue, enveloppant le visage. Les pauvres n'avaient pour leur part droit qu'à la « sarpillière » cousue pour être inhumés directement en terre et souvent en fosse commune.
Pour des raisons de respect, de nombreux rituels n'autorisèrent pendant longtemps que l'usage de la force humaine pour le déplacement des corps; l'emploi d'animaux comme le cheval étant tenu dans plusieurs cas comme étant indigne. Il fallut attendre le 18e siècle et une certaine sophistication des rites funéraires pour que se répande la pratique de transporter les défunts à l'aide d'un char hippomobile, lequel prit alors le nom de corbillard. Au 19e siècle, ce dernier connut une importante expansion et des entreprises se constituèrent pour se lancer dans ce qui était devenu une industrie prospère. Parallèlement à cela, des véhicules magnifiques qui peuvent presque être qualifiés d'œuvres d'art furent assemblés à l'intention des clientèles aisées qui ne manquèrent pas d'ajouter ainsi tout le décorum voulu à leurs funérailles...
Avec les débuts de l'automobile au tournant du 20e siècle, le cheval céda peu à peu sa place au moteur à essence. Selon les historiens, ce fut le 15 janvier 1909 à Chicago que se déroulèrent les premières funérailles en Amérique à employer un corbillard motorisé. Le défunt se nommait Wilfred A. Pruyn et était de son état conducteur de taxi. Ne possédant aucun corbillard sans chevaux, l'entrepreneur funèbre H.D. Ludlow s'empressa de se procurer un véhicule automobile qu'il surmonta du châssis nécessaire au transport du cercueil. Le cortège qui traversa Chicago peu de temps après fut un tel succès que Ludlow décida de conserva le véhicule artisanal pendant les neuf semaines qui suivirent. Dans ce court laps de temps, quatorze autres dépouilles mortuaires l'empruntèrent pour rejoindre à leur tour le cimetière. Le corbillard moderne venait de naître bien qu'il eût encore un long chemin à parcourir pour devenir le véhicule que l'on connaît aujourd'hui...
En 2001, la compagnie Accabuilt, basée à Lima en Ohio, était devenue le principal fabricant de corbillards en Amérique du Nord, contrôlant pas moins de 70 % d'un marché certes modeste en comparaison des autres segments de l'industrie automobile, mais très stable. Elle produisait environ 1 500 véhicules par année (des modèles Cadillac et Lincoln) qu'elle revendait à un prix moyen de 80 000 $ US.
Par Éric Laliberté, bachelier en histoire
Publié dans la revue Profil - automne 2003
Intéressant comme article. Les changements de cultures, d'entreprises économiques et d'idéologies sont bien évoqués.
Il serait intéressant de la compléter par les pratiques et rites «d'embaumement et d'exposition» des cadavres...
J’ai vraiment apprécié ce moment d’histoire. Merci de l’avoir partagé!
Merci, texte court mais très intéressant.
Pour se rendre a l'école, on prenait un raccourci et on devait passer devant le garage où était entreposé le corbillard tout argenté de parures tiré par deux chevaux. Lorsque la porte était entrouverte, on lançait un regard rapide et on passait plus rapidement car cet objet nous épeurait.
Très intéressant. Merci.
Régine, la reine de la nuit n'arrivait pas au Père Lachaise en corbillard, mais en calèche pour certains, ou en carrosse pour d'autres... ce qui donne un ton un peu baroque à la cérémonie! ... d'après de très jeunes journalistes qui ne savent pas qu'au XIXe siècle ce corbillard était courant, il n'y avait pas de voiture automobile pour les enterrements...
Je me souviens très bien des anciens corbillards tiré par deux chevaux noirs parés de leurs plus beaux attelages. Une partie de la population suivait derrière, dont les proches du défunt habillés de noir et un voile recouvrait leur visage. C'était pieux et solennel. Et la famille immédiate
portait un brassard au bras droit pendant un an.
Bien heureux d'apprendre l'histoire des corbillards.
Jean-Marc Morin, 10 août 2019