En 1990, après un long suivi en clinique de fertilité, j'étais épanouie et fière d'être enceinte, jusqu'au jour où nous apprenions la terrible réalité qu'il s'agissait d'une grossesse multiple avec sept embryons. Dès lors, notre rêve prenait l'allure d'un cauchemar. Avions-nous forcé la nature à ce point ? Voilà qu'elle se vengeait sur nous. La décision de procéder à une réduction embryonnaire nous fut presque imposée sans même nous laisser réfléchir à toute l'ampleur du geste. On tua en moi cinq embryons, alors que je ne demandais qu'à donner la vie. Cinq petits cœurs qui battaient déjà bien fort en moi. C'était de toute évidence des statistiques d'échec pour la clinique de fertilité, le risque qui nous avait été présenté était d'avoir des jumeaux ou des triplets. Mais ils disaient de moi que j'étais forte et, tout au long de l'intervention faite à froid, je tentais tant bien que mal de me retenir pour ne pas me plaindre de douleur. Mais ce qui était le plus souffrant c'était de voir s'éteindre le petit cœur de ces êtres tant désirés.
Dans le mois suivant, seulement un des embryons continua son développement. Tout semblait aller pour le mieux. À la vingtième semaine je commençais à vivre pleinement cette grossesse jusqu'au jour où Jolyane décida de venir au monde. Bien trop tôt pour un si petit corps. Elle était tout le portrait de mon tendre époux. J'appris plus tard qu'on m'avait infectée lors de l'intervention, ce qui expliquait la rupture prématurée des membranes.
Huit mois plus tard on procéda à la technique de fécondation in vitro, mais la grossesse ne prit pas forme. Toutefois un embryon resta congelé.
Les mois passaient et l'attente de l'enfant tant désiré nous pesait davantage. Je pris la décision de retourner en fertilité puisqu'il y avait toujours cet embryon de congelé. On stimula de nouveau mes ovaires et prépara le tout avec des injections d'hormones en souhaitant réimplanter l'embryon en attente dans les prochain jours.
L'embryon ne fut pas réimplanté tel que convenu puisque le test de grossesse confirma un résultat positif. J'étais de nouveau enceinte mais cette fois-ci il s'agissait de la présence de dix embryons. On nous avait affirmé qu'il n'y avait presque pas de danger pour un nombre d'embryons aussi élevé que la première fois !!! Nous étions honteux et n'en avons parlé qu'à très peu de gens, seulement nos parents et quelques amis. La peur d'être jugés et d'être l'événement de la région ne pouvait qu'augmenter notre peine davantage. Alors nous avions fait le choix de dévoiler la grossesse de triplés en cachant bien sûr la réduction embryonnaire de sept embryons. Sept millions de larmes versées sur une table d'examen bien trop inhumaine devant un moniteur que mes yeux se refusaient de regarder. Je n'ai jamais accepté d'avoir enlevé la vie à ces petits cœurs mais nous souhaitions mettre en santé trois beaux enfants.
Cinq mois passèrent et les bébés bougeaient de plus en plus. La crainte de la vingtième semaine s'était atténuée. La grossesse était à risques mais tout allait enfin bien. Les douillettes des deux garçons et de la petite commençaient à prendre forme. Puisque j'étais en arrêt de travail, la couture occupait mes temps libres. Mais lors d'une visite à l'hôpital, qui se devait être une simple routine, on décida de me garder car mon col était dilaté à deux centimètres. C'était le découragement généralisé tant pour nous que pour nos familles. Et dans la nuit, les contractions commencèrent sans relâche. Je fut transférée à l'Hôpital Ste-Justine. Au midi venaient au monde Pierre-Olivier, suivi de Jérémie et, pour finir, Lysiane, tous prématurés à 24 semaines.
En fin d'après midi, Pierre-Olivier nous fit ses adieux le premier. Il partit paisiblement, bien collé contre mon cœur pour mieux sentir sa chaleur. Il en fut ainsi pour Lysiane ; après m'être éveillée subitement, le téléphone sonna cinq secondes plus tard pour nous demander d'aller la prendre aux soins intensifs car elle n'allait pas bien. Une bien belle petite fille nous quittait dans les heures suivantes. Ont-ils senti tout l'amour qu'on avait à leur donner ? Jérémie nous quitta la troisième journée ; notre petit héros avait gagné notre médaille de fierté, si petit pour combattre si fort !
C'en était fini alors de la fertilité sauf pour une raison, il nous restait notre embryon d'un traitement précédent qui nous attendait toujours congelé.
Six mois plus tard, encore très fragiles émotivement, nous décidions de retourner en clinique pour la réimplantation, cette fois-ci de l'embryon congelé seulement. Nous avions fait le choix de refuser tout autre traitement. À notre arrivée ce matin-là à l'Hôpital St-Luc, on nous attendait avec la mauvaise nouvelle que l'embryon n'avait pas repris son développement tel qu'espéré. C'était pour nous un autre deuil, comme si nous venions de perdre un autre bébé.
Si on dit qu'avec le temps on oublie, nous, pour notre part, on n'a jamais oublié. La douleur des pertes nous a permis de cheminer vers une autre destinée que nous ne connaissions pas. Ne voulant plus revivre de telles craintes, l'adoption devenait pour nous la solution idéale.
En ce vingt-quatre décembre, veille de Noël, nos coupes de vin se frappaient ensemble dans l'espoir qu'il nous soit confié très bientôt un enfant que nous pourrions chérir et bercer enfin dans nos bras. On s'inscrit alors avec une agence d'adoption et ce n' est que le début d'une longue attente. Les mois passent, les nouvelles ne viennent pas, sauf un jour, un appel vient nous signaler la fermeture du pays d'adoption avec lequel nous étions en attente.
J'ai revécu tous les deuils précédents en cette période d'incertitude. À chaque fois que notre objectif allait se réaliser, il y avait toujours un obstacle à cette réalisation. Le temps passait et nous lisions tout sur la Chine afin de mieux nous rapprocher de notre enfant. Une attente interminable et combien souffrante à l'idée de ne pas pouvoir réaliser ce but. Nous décrivions la douleur par des poèmes et des prières sans cesse renouvelés. Nous trouvions difficile la Fête des mères sans avoir d'enfants à nos côtés.
Mais cette journée fut sans aucun doute la plus rayonnante depuis longtemps. On nous informa de la réouverture des procédures d'adoption avec la Chine. Notre dossier venait de leur être envoyé. Enfin une bonne nouvelle ! C'est en septembre 1994 qu'on nous annonça qu'il y avait, à Yiyang en Chine, notre fille Yi Ping, 6 mois, qui nous attendait. Yi Ping est devenue Marylie en ce 25 septembre 1994. Dès l'instant où nous l'avons prise dans nos bras, c'était tout aussi fort que l'amour vécu envers nos petits anges du passé.
Deux ans plus tard, notre foyer accueillait notre deuxième enfant, une petite demoiselle du nom de Chen Ding Gui, âgée de 8 mois. Elle porte le nom de Julie-Ann à présent. Notre bonheur ne cesse de grandir. Chaque jour nous les voyons s'épanouir davantage et il en est ainsi pour nous aussi.
Si j'ai choisi d'écrire ce témoignage, c'est pour mieux venir soutenir les couples infertiles qui parfois se cachent dans le silence. La perte d'un enfant ou de la capacité de le concevoir peut être selon moi presque aussi grande en souffrance. En souhaitant que ce texte pourra avoir été une source de support à vos côtés. Amicalement, je vous invite à m'écrire.
Christine
Sherrington (Québec)