Papounet,
Cela fait maintenant plus d'un an que tu nous as quittés et je pensais, il y a encore peu de temps, que j'avais passé cette douloureuse période de deuil. Mais malheureusement, je suis obligée de reconnaître que la peine est bel et bien encore là, que le temps a beau l'atténuer, elle ne partira jamais.
Noël est là pour me rappeler qu'il y aura un cadeau de moins à acheter cette année, que quelqu'un ne sera pas assis dans le salon devant le sapin, impatient de voir ma tête quand je déballerai son cadeau. Noël est censé être le moment le plus joyeux de l'année. Mais depuis un an, je n'y trouve plus la même joie. Avec le recul, je me rends seulement compte de la place primordiale que tu occupais durant cette période. Tu te faisais une joie de tout préparer pour que la fête soit parfaite, cherchant avec soin les petites choses qui toucheraient chacun de nous. Le premier Noël était encore bien passé, quoique le cœur n'y fût pas totalement. Mais cette année, le temps a trop passé, et je dois faire face à la dure réalité : tu ne seras plus parmi nous dans ces moments de joie. Mais comment être heureux alors qu'il manque quelqu'un, parti pour de bon ?
Bien sûr je penserai à toi, comme je le fais tous les jours, me demandant si tu peux enfin me voir telle que je suis vraiment, toi qui n'as pas beaucoup eu l'occasion d'être présent durant ces 17 premières années de ma vie où tu étais encore là. Mais même si j'ai commencé à rebâtir ma nouvelle vie, celle sans toi, je ne peux m'empêcher de ressentir ce vide en moi, que je m'efforce de combler par des passions, des loisirs, des occupations quelconques... Je croyais avoir surmonté cette épreuve et me voilà maintenant comme revenue à la case départ. Mais désormais, plus personne ne croit que ton décès me touche encore, du moins pas comme il le fait vraiment. J'ai toujours été longue à la détente. Et ça ne fait pas exception à la règle.
J'ai déjà mis deux mois à comprendre que tu étais parti pour de bon, et non tout simplement en vacances ou en voyage pour le travail. La pente a été dure à remonter, des mois et des mois dans le noir, à ne pas en voir la fin. Finalement, la lumière est revenue avec le soleil estival. Mais l'épreuve du premier anniversaire, tant redoutée, m'attendait à la sortie de l'été. J'ai trébuché, je suis un peu retombée mais pas aussi bas qu'avant. Je me suis une nouvelle fois relevée pour aller de l'avant. Tout repartait alors comme avant, ou presque. À présent sortie du nid familial, je sentais enfin que je pouvais vivre et respirer à nouveau le bonheur. Et c'est ce que je fis durant trois mois. Mais maintenant tout n'est plus si rose, et je ne peux m'empêcher de penser à quel point je dois te décevoir, après avoir arrêté de vivre durant presque un an, de ne pas être capable de savoir rebondir pour de bon.
C'est comme si le temps s'était figé depuis ton départ. Malgré les nombreux changements apparents dans ma vie, je reste clouée dans un monde où je suis une petite fille qui a besoin de son papa. Des fois tu me donnes la force de traverser des épreuves, je trouve en toi une énergie débordante. Mais je veux que où que tu sois, tu sois fier de moi. C'est ma seule motivation, et quand je n'ai pas le résultat attendu, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer ta mine déçue, ce qui me fait replonger de plus belle. Je croyais avoir passé ce stade mais force est de constater que je n'ai passé qu'un obstacle, la route est encore longue. Petit à petit, je me sens replonger et j'ai peur. J'ai peur et en je suis en colère contre moi-même. Des fois, j'ai l'impression d'avoir deux personnalités : celle qui pleure son père, et celle qui interdit de pleurer car ça n'apporte rien, que ça ne sert à rien de vivre dans le passé. J'ai l'impression d'être déchirée, mais cette fois je n'ai plus personne à qui me confier. Mes nouveaux amis ne peuvent pas comprendre ce par quoi je suis passée, mes anciens me croient au-dessus de ça ainsi que le reste de la famille. Je ne veux pas les décevoir, ils ont déjà beaucoup donné pour moi. Mais je ne peux pas empêcher ce qui m'arrive, la façon dont je réagis. D'autres me diront que c'est normal. Mais au fond de moi, j'ai l'impression que je ne me sers de ta disparition que comme une excuse, et ça me répugne. Je ne sais pas si c'est vrai ou si je suis effectivement toujours sous le choc de ton départ, mais je me déteste pour ça. Je me déteste parce que je ne suis pas assez forte là où on attend de moi que je le sois. Je veux aller de l'avant pour le bon, je le veux vraiment. Mais la motivation n'est pas là. Ou du moins elle n'est pas au bon endroit.
Depuis que tu n'es plus là, j'ai un autre regard sur le monde. Je suis plus attentive aux détails, à la signification des choses. Et je me dis que peut-être le chemin que j'ai pris et qui semblait tracé depuis mon enfance n'est pas le bon. À nouveau, je me remets en question, tout comme je l'ai fait durant l'année qui a suivi ta disparition. Et où en est-on aujourd'hui ? Un an, trois mois et vingt-deux jours plus tard. Ce qui signifie seulement trois mois de vie normale si je puis dire. L'année a été si dure, les efforts si nombreux, que je ne me sens pas la force de retraverser une telle période. Je sens que je m'enfonce à nouveau. Je ne veux pas, mais je n'ai plus la force de lutter, je suis épuisée. J'ai été naïve de croire qu'un coup de baguette magique suffirait : une nouvelle année et pouf ! Tout repart comme avant ! Maintenant, je suis loin de tout le monde et ton absence est comme noyée parmi d'autres. Mais je sais que même quand je rentrerai à la maison, tu ne seras plus là pour m'accueillir. Pour tout le monde je n'ai jamais été aussi bien, jamais aussi équilibrée et mature. Mais au fond de moi je sais que je suis loin d'être rétablie.
Je voudrais avoir quelqu'un à qui raconter tous les doutes qui bousculent mon esprit, je sais qu'il me suffirait de dire que j'ai besoin de parler et je trouverais une oreille attentive. Mais en même temps je ne veux pas. À quoi bon embêter les gens avec des problèmes qui ne les concernent pas ? Ils en ont suffisamment par eux-mêmes ! Alors je t'écris. Je sais que je ne suis jamais seule. Je sais que tu es toujours avec moi. Mais écrire les mots me fait me rendre compte à quel point je souffre plus que je ne pensais. Je n'aime pas les faiblesses, d'ailleurs qui les aime ? Mais ne pas reconnaître sa souffrance, ou du moins la cacher, fait encore plus mal. Alors je te le dis franchement : tu me manques, tu me manques, tu me manques ! Je veux que tu me serres dans tes bras en me disant que tout ira bien, que ce n'est pas grave, que ce n'est qu'un moment à passer. Tu serais le seul à pouvoir faire disparaître ma peine.
Je ne sais pas si c'est normal de se sentir comme ça, après autant de temps. Quoique un an ne soit pas tant que ça dans une vie. Je ne veux pas affoler les autres en leur disant que je me sens craquer à nouveau. Mais je ne veux plus traverser ça, encore moins seule. Toi qui a toujours été croyant, prête-moi ta foi, afin de raviver la mienne, éteinte depuis ton départ si soudain.
Papa, j'ai beau savoir que l'on finira par se retrouver un jour, l'attente est insupportable. Je ne peux m'empêcher d'imaginer les conséquences qu'aurait la disparition d'un autre membre le famille. Je ne me sens pas capable de revivre une nouvelle fois ça. Je vis de nouveau dans la peur du téléphone qui sonne, oiseau de mauvais augure, ces mauvais pressentiments ne cessent de m'assaillir, je ne sais pourquoi.
Papa, veille sur mes frères et sœur qui comptent plus que tout au monde pour moi.
Papa, veille sur Maman. Tu as pu le voir, même après treize ans de séparation ton décès l'a beaucoup peinée, elle ne cessait de répéter que malgré ce qui s'était passé entre vous, la séparation et les nombreuses procédures au tribunal, l'affectif n'était pas totalement parti.
Papa je t'en prie, donne-moi la force de vivre sans toi.
Je ne te l'ai pas beaucoup dit mais je t'aime fort ! Je regrette juste qu'il ait fallu que tu ne sois plus là pour que je me rende compte à quel point je t'aimais !
Mon Papa chéri d'amour adoré,
Emmanuelle
Strasbourg (France)