Mon mari s'est enlevé la vie le 18 avril 1998. Je voulais le quitter. Nous avions parlé de se séparer mais, en même temps, je n'arrivais pas à franchir le pas parce que je me suis toujours sentie responsable de lui. Enfin, pas au début de notre mariage mais, à la longue, oui. Après la naissance de notre seul enfant, en 1992, je suis devenue très responsable et lui est demeuré comme toujours, c'est à dire assez juvénile. Cette qualité (car c'en est une) je l'ai trouvée difficile à accepter quand je me suis retrouvée à prendre soin de mon fils, de la maison, des finances et de tout pendant ses longues absences lors de ses déplacements en pays étrangers pour des missions de paix pour les Nations-Unies (oui, il était militaire). Bien que ça va bientôt faire six mois, toutes ses choses sont encore en place. Dès que je veux faire un peu de ménage, je trouve des trucs de vie quotidienne (brosse à dents, antisudorifique, etc) et, à chaque fois, ça m'anéantit. Je n'arrive pas à faire les travaux ménagers de base, sauf le lavage et la vaisselle mais c'est parce que je n'ai pas le choix, j'ai mon fils qui a besoin de moi.
Il m'arrive de penser qu'il (mon mari) aurait dû nous emmener avec lui. Il n'a pas laissé de lettre sauf que, avant que je monte me coucher ce soir-là, il m'a dit qu'il était désolé d'avoir été un si mauvais mari. Je lui ai dit que non, il n'était pas un mauvais mari et je lui ai dit que je l'aimais et qu'il le savait en plus.
Mais j'avais un autre homme dans ma vie depuis septembre, après quatre ans de discussions infructueuses afin que mon mari consulte un médecin pour ses problèmes sexuels. Il ne l'a jamais fait, il préférait se réfugier dans ses livres qui traitaient de la guerre sous toute ses formes. Et moi j'ai fini par abandonner. J'ai l'impression de l'avoir abandonné.
Il a choisi de se tirer un coup de calibre 12 entre les yeux. Je l'ai découvert à peine cinq minutes après m'être couchée. Je me reproche de ne pas l'avoir serré dans mes bras une dernière fois. Je me reproche d'avoir ressenti du soulagement parce qu'ainsi, je n'aurais pas à entreprendre des procédures de divorce. Ce qui me mine le plus, c'est comment a-t-il pu faire ça à son jeune fils de 5 ans ? Comment vais-je lui expliquer cela ? Que deviendra-t-il ?
Il y a des moments où je ne sais plus quoi faire, quoi dire. Je ne vois plus mes parents (ou presque pas). Je suis seule de mon côté à tout faire, à tout régler. Mon ami (celui que j'ai connu en septembre dernier) habite un autre pays et la distance est très pénible à supporter surtout quand j'aurais tellement besoin d'une présence réconfortante. Il doit subir mes sautes d'humeur, mes pleurs, rarement mes rires. Je sais que la vie continue mais j'aimerais qu'elle s'arrête afin de me permettre de reprendre mon souffle. Me permettre de me retrouver. J'ai l'impression que je ne serai jamais plus la même. La personne que mon mari aimait, celle qui le faisait rire d'un rien, celle qui prenait bien soin de lui et de ses affaires, celle qui était si efficace à presque tout. Je me retrouve désorientée, déboussolée, perdue. Et le fardeau que j'ai à porter est très lourd.
Ce qui est pire c'est que j'ai l'impression que je n'ai pas le droit d'être en deuil. Après tout, je voulais le quitter, non ? Comme a dit le copain de ma mère : "C'est ta faute, maudite vache !". Je le crois aussi. En fait, j'en suis convaincue. Mon mari était quelqu'un qui vivait comme ça venait, un genre qu'on pourrait décrire comme un "imbécile heureux". Il n'était pas imbécile mais il ne s'en faisait pas pour des riens, il laissait la vie couler et se cachait la tête dans le sable quand ça allait mal, jusque le temps que ça passe.
J'ai recommencé à fumer, je bois plus qu'avant, je prends des anti-anxiété (plus rarement qu'au début) afin de gérer ma peine, mon angoisse. Mais c'est une lutte de tous instants et ce n'est pas facile. Et j'ai mal jusque dans le fond de l'âme... Quand j'en parle, j'ai l'impression de me plaindre, de "chialer"... alors, je n'en parle pas, sauf à mon ami et à ma thérapeute du centre de prévention du suicide.
Je dois aller visiter la tombe de mon mari, qui est en Ontario, bientôt. Mettre des fleurs sur sa tombe, c'est important pour mon fils. C'est également important pour moi. Mais ça sera difficile, pénible et très éprouvant. Mais mon fils doit voir, il a besoin de voir la pierre tombale, qui n'était pas en place lors de l'enterrement de son père, afin de boucler la boucle. Peut-être que ça me fera du bien. Mais je vais voir mes beaux-parents pour la première fois depuis le drame et je suis assez anxieuse à cette perspective.
Je sais qu'un beau jour je me réveillerai de ce cauchemar, mais je n'en suis pas certaine. Qui vivra verra...
Diane Lefebvre
Lorretteville (Québec)