Le 9 février, voici la date maudite du début de mon enfer... Nous étions mariées depuis 14 ans... Lui avait 38 ans, moi, j'en ai 34. Nous avons trois adorables filles de 11, 9 et 3 ans. Nous avons traversé bien des orages, mais nous sommes toujours passés à travers ces épreuves plus forts, plus amoureux, d'un amour vrai et profond... LE grand amour.
Mon conjoint n'avait pas eu une enfance heureuse, il avait été battu et rejeté, d'un membre de sa « famille » à un autre... toujours les mêmes traitements. Lorsqu'il a été assez âgé pour partir, il s'en est allé vers une nouvelle vie, seul. C'est bien des années plus tard qu'il devait croiser ma route.
J'avais déjà un petit ami à ce moment-là, mais lui s'en souciait peu. Il avait d'abord connu mon grand frère, et grâce à ce dernier, m'approcher fût assez facile pour lui. Nous avons donc fait connaissance... Il a eu le coup de foudre tout de suite, il était tellement amoureux qu'il était toujours chez moi (chez mes parents) lorsque j'arrivais de travailler. Je le trouvais beau, gentil et si doux... mais je n'étais pas prête.
Un soir, malgré le fait que j'avais déjà un petit ami, il m'a embrassée, tout tremblant. Il a fait battre mon cœur, mais ma raison l'a fait taire. Ensuite, j'ai demandé à mon frère de lui dire qu'il ne m'intéressait pas, je voulais qu'il lui dise de me laisser tranquille. Et mon frère lui a dit : « Ne te décourage pas, je sais qu'elle s'intéresse à toi, mais elle ne le sait pas encore... Pars un bout de temps et je sais que tu l'auras, vous êtes faits l'un pour l'autre ! ... ». (Merci cher grand frère, c'est un peu grâce à toi que j'ai eu toutes ces années de bonheur avec lui). Il est parti, mon autre amourette est vite devenue un souvenir... j'étais de nouveau « libre ».
Un beau soir, alors que je faisais le grand ménage avec ma mère, un beau « motard » aux yeux bleus est venu frapper à notre porte, demandant à voir mon frère... mon cœur battait très fort devant ce beau « prince » sans le reconnaître. Quand je l'ai enfin reconnu, j'ai su que j'étais vraiment amoureuse à mon tour. Et je me suis servie de mon frère pour lui faire savoir que j'étais enfin prête (et comment !). Notre belle histoire a commencé... nous n'avons plus perdu de temps.
Environ deux ans plus tard, nous nous sommes unis pour le meilleur... et pour le pire. Le meilleur : les quatorze années passées près de lui, nos filles qui, chacune à leur tour nous ont enrichis... et la petite dernière (surprise) qui me fait l'effet d'un ange venue avec une mission très spéciale pour moi... m'aider à vivre malgré l'immense douleur que je porte en moi depuis la perte de mon amour.
Elle, elle est sereine face à la mort de son père, elle ne pose pas de questions, elle SAIT où est son papa. Et si elle s'ennuie, elle sait qu'il est toujours avec elle... avec nous toutes. Elle connaît le « ciel » comme si elle y avait vécu... Elle me dit : « Pleure pas maman ». Elle me dit de manger si l'appétit me manque lorsque la peine m'étouffe. Elle me dit : « Papa s'ennuie de la maison ». Et si parfois elle est dans une autre pièce et que je pleure, elle vient me trouver et me console. Comment le sait-elle ? C'est un mystère, mais moi je crois qu'elle est très spéciale. Entre son papa et elle c'était le grand amour, elle lui a enfin fait découvrir une richesse qu'il n'avait jamais connue.
Le 9 février 2001, ma vie, mon bonheur se sont écroulés... mon conjoint est décédé sur la table d'opération, suite à un geste de négligence criminelle de son employeur. Ce dernier l'a envoyé regarder sous une voiture alors qu'il la soulevait de façon non-sécuritaire. Le véhicule a « glissé » et est tombé sur mon conjoint... mon amour a été littéralement écrasé sous ce véhicule. Ça me fait mal d'y penser.
Je donnerais ma vie pour qu'il revienne, pour qu'il soit de nouveau près de nos filles au moins. Ils avaient tant d'amour à partager, et il l'avait bien mérité ce bonheur.
Il s'est sorti seul de sous la maudite voiture, et a dit à un ami qui était là : « Il faut que j'aille chercher mes filles à l'école ». Cet ami lui a dit de ne pas s'inquiéter, qu'il s'en occuperait. Mon conjoint est parti en ambulance, à l'hôpital, il est allé en urgence dans la salle d'opération (il y était lorsque je suis arrivée enfin). Quelques minutes après mon arrivée à l'hôpital, un médecin est venu, m'a entraînée dans un petit bureau à l'écart, et m'a annoncé que mon conjoint, le centre de ma vie, était décédé d'un choc hémorragique, de l'éclatement de son foie. Je me souviens avoir crié, hurlé dans l'hôpital, je me souviens du vide immense qui m'engloutissait très vite, de ma vie qui s'arrêtait... de ce désespoir qui ne me quitte plus désormais. Et je me souviens de lui, sans vie, lorsqu'ils m'ont enfin laissée le voir dans une pièce, aussi morte que lui...
La somme de mes larmes m'étonne encore, je pourrais remplir un océan à moi seule... et ça ne s'arrête pas, jamais. Et j'ai cette colère, cette haine envers le crétin de patron qui n'a pas fait attention à l'être exceptionnel qu'était mon mari, qui n'a aucune espèce de considération pour la vie, les vies qu'il a détruites par sa négligence...
Je ne sais pas comment je vais pouvoir faire vivre seule ma famille, nous n'avions aucune assurance-vie. J'ai déjà les frais funéraires à payer... tout en nourrissant mes trois filles. J'ai des moments de désespoirs intenses, à travers une douleur qui semble ne jamais faiblir... et j'ai mes filles, les preuves vivantes de ce qui a été... un grand, un irremplaçable amour.
Marie-Josée
Saint-Jean-Chrysostome (Québec)