Bientôt 20 ans que tu nous as quittées, maman, Nathalie et moi, le 17 Mars 1981. Tant de choses se sont passées sans toi, tant de souffrances aussi. Je t'aimais tant et je ne le disais pas, nous n'avions pas appris à parler de ces choses-là, ni toi, ni moi, et pourtant... je le savais, à ta façon de me parler, me regarder, plaisanter, à tes « leçons de morale », toi qui voulait des « petites filles bien élevées, sages », des petites filles parfaites. Mais tu es parti trop tôt et si brutalement. Tu es parti un matin, à ton travail, et tu n'es jamais rentré. Comment n'ai-je pu rien deviner ? Comment pouvais-je rire, continuer à vivre au moment où ta mort arrivait ? Comment n'ai-je rien ressenti alors que les jours précédents, j'étais obsédée par la mort, la tienne et celle de maman, mais surtout la tienne, et je me rassurais dans mon lit : « Non tout va bien, il est là à côté, tout est normal » ; jusqu'à ce soir où on a sonné à notre porte.
Comment oublier ce moment, ces quelques phrases toutes simples : « C'est grave, très grave » et maman qui comprend soudain et se met à crier « Non, ne me dites pas que... » ; alors j'ai compris que tout était fini, que notre vie venait de s'arrêter, le monde s'écroulait et pourtant, tout semblait si irréel, si impossible ; on ne peut pas mourir comme ça, à 40 ans, quand tout va bien.
Comment oublier l'arrivée à l'hôpital, les regards du personnel soignant sur Nathalie et moi (nous venions d'avoir 13 et 14 ans), le moment où on nous a fait entrer dans la pièce où ils t'avaient déjà préparé, ton air si calme, détendu, un léger sourire sur les lèvres, comme si tu dormais tout simplement, un simple bandage autour de la tête : j'ai éprouvé le besoin de toucher ta main, discrètement, sous le drap blanc qui te recouvrait, comme un besoin de vérifier si on nous mentait : ce contact, je le ressens encore, même si j'ai oublié beaucoup de choses, ton visage que je dois vérifier sur les photos, ta voix, un vague souvenir de ton rire car il m'arrive d'avoir le même, mais ce contact, je ne peux pas l'oublier et je le ressens encore à chaque fois que j'y pense.
Personne ne s'est occupé de nous, personne n'a cherché à savoir si ma sœur et moi avions besoin de parler, de recevoir une aide quelconque, alors ce petit moment, ce simple contact m'a permis de croire à la réalité dans les moments où je la refusais, où j'aurais risqué de te chercher, de croire à un simple mensonge puisque tu avais fait don de ton corps à la science et qu'il n'y a pas eu d'enterrement, pas de cérémonial car tu n'étais pas croyant, pas même une réunion de famille.
Oui, tout s'est écroulé ce jour là. Si tu savais à quel point. Je suis partie loin, très loin, mais on n'oublie pas si facilement. Pourtant, j'ai appris à vivre, à respirer, à m'épanouir.
Bientôt 20 ans que tu es parti papa (papa : ce petit mot que je ne peux même pas prononcer tout haut, ce petit mot qui représente tant de choses, qui te représente, toi et l'amour que tu avais pour nous, même si tu étais trop réservé pour le dire) ; ce petit mot que j'ai tout de même réussi à faire graver sur une plaque, il y a trois ans, car j'en avais besoin et que je me lançais dans de nouveaux projets d'avenir : en effet, j'ai repris mes études après un long chemin (et ce n'est pas fini), un chemin parsemé d'embûches mais aussi de joies.
Bientôt 20 ans et cette année sera une année spéciale car, en ce début du troisième millénaire, je vais avoir 35 ans, je vais passer mon diplôme d'infirmière, recommencer encore une fois une nouvelle vie et, surtout, « ta petite », ton garçon manqué, Nathalie va se marier : pour elle aussi une nouvelle vie commence avec tous les espoirs que cela comporte : une famille bien à elle, un grand bonheur, et j'avais envie de te faire partager tous ces moments auxquels tu ne participeras pas, plus jamais.
Car si tu es parti il y a 20 ans, c'était hier, c'est aujourd'hui, pour toujours et à jamais. Ces mots que j'ai tant regretté n'avoir jamais dits, je te les dis aujourd'hui : « Papa, je t'aime et t'aimerai toujours ».
Véronique
Oyonnax (France)