J'ai perdu ma petite Daphné il y a un an maintenant. Ma grossesse s'était très bien déroulée, aucune complication. L'accouchement s'est aussi passé très bien, à peine trois heures. Nous étions très fiers, son papa et moi. C'était notre premier enfant, nous l'avions attendue avec impatience.
Je devais passer deux jours à l'hôpital mais, Daphné ne buvant presque pas, le pédiatre m'avait recommandé d'y demeurer une journée de plus, par précaution. Pendant la troisième nuit, je me suis levée pour aller l'allaiter à la pouponnière. Une infirmière l'avait déshabillée pour la réveiller, elle dormait tout le temps. J'ai alors remarqué qu'elle avait un drôle d'air. Elle était couchée sur le dos, les yeux ouverts, mais sans aucune réaction. Elle respirait normalement. Je l'ai prise et me suis installée pour lui donner une bouteille (les infirmières m'avaient recommandé de la nourrir au lait maternisé étant donné qu'elle ne voulait pas boire au sein). Mais là non plus, elle n'avait aucune réaction. Elle ne repoussait même pas la tétine. Je me suis mise à pleurer, au bord du désespoir.
Je savais que certains bébés prennent plusieurs jours avant de se nourrir après la naissance et ça m'inquiétait. Et j'avais aussi une petite voix qui me disait que quelque chose n'était pas normal. Une infirmière m'a vue pleurer, s'est approchée et m'a dit d'aller dormir, que j'étais fatiguée, qu'elle allait s'en occuper. Je suis donc retournée à ma chambre en pleurant...
Au matin, une autre infirmière est arrivée dans ma chambre en coup de vent. Elle voulait me faire une prise de sang. Ses mains tremblaient, elle avait l'air alarmée. J'ai blagué en disant qu'elle avait eu une dure nuit. Et puis le pédiatre est entré à son tour. Il m'a dit que ma petite n'allait vraiment pas bien... Il ne savait pas ce qu'elle avait, mais elle n'avait pas de réaction, elle était comme en état de choc. Il m'a dit d'appeler mon conjoint rapidement.
Quand Joël est arrivé, il ne croyait vraiment pas que quelque chose de grave pouvait s'être produit. Nous avons attendu une heure et comme nous n'avions aucune nouvelle, il est allé déjeuner et chercher ma mère. À son retour, le pédiatre est revenu nous annoncer qu'ils avaient trouvé ce qui n'allait pas : Daphné souffrait d'une malformation du ventricule gauche. En fait, elle n'avait pas de ventricule gauche du tout ! Ce qui fait que le sang était dirigé vers le mauvais endroit, et donc devenait de plus en plus pauvre en oxygène. Elle avait vécu jusqu'à maintenant grâce à une veine qui se ferme deux à trois jours après la naissance et qui avait jusque là, acheminé le sang au bon endroit.
Je posais des questions au pédiatre, j'essayais de comprendre. J'avais la voix qui tremblait un peu, mais je ne réalisais pas encore ce qu'il me disait. Il affirmait qu'il n'y avait rien à faire, qu'aucune transplantation n'était possible... Tout à coup, une infirmière est arrivée en courant et en disant : « Le prêtre est là ! » J'ai regardé Joël et je lui ai demandé : « Est-ce qu'ils sont en train de nous dire qu'on va la perdre ? » Il s'est mis à pleurer.
Ma mère m'a dit plus tard qu'elle savait depuis le début, quand le pédiatre était entré dans la chambre. Nous sommes allés la voir, pauvre petite, branchée de partout, un tube dans la bouche pour l'aider à respirer, des aiguilles plein le corps, nue sur une table minuscule, sous une lampe éblouissante... Nous avons demandé à ce qu'elle soit débranchée, nous voulions la prendre dans nos bras. Nous l'avons donc bercée toute la journée... Parfois, elle ouvrait les yeux et me regardait. Je lui parlais alors, pour la rassurer, pour qu'elle reconnaisse ma voix.
À la fin, elle avait de la difficulté à respirer. J'avais peur, je ne voulais pas la perdre, mais en même temps, je ne voulais surtout pas que cela s'éternise, qu'elle souffre pour rien. Et c'est bizarre, mais à certains moments, tout ce que je voulais, c'était de retourner enfin chez moi. Comme si, de retour à la maison, ce cauchemar allait se terminer enfin. Elle a cessé de respirer à quelque reprises vers la fin. Je croyais alors que c'était terminé, mais elle recommençait à nouveau.
La dernière fois, j'ai compris, car elle est devenue toute molle, comme un chiffon. J'ai eu un petit moment de panique, j'avais peur de la briser, de lui faire mal. J'ai demandé à Joël de venir la prendre et la porter dans son petit lit de verre... Daphné est morte à 18 h 45. Elle avait trois jours.
Aujourd'hui, je pense encore beaucoup à elle. C'est mon beau petit bébé, à moi. Je conserve dans un tiroir les deux pyjamas qu'elle a eu le temps de porter et qui portent encore son odeur. Je m'ennuie terriblement. Je pense à ce qu'elle aurait l'air maintenant. Elle marcherait probablement, elle commencerait à parler un peu aussi. Notre vie serait tout-à-fait différente. C'est triste, c'est tellement triste. Ce sont tous mes rêves qui se sont envolés, toute cette joie que j'avais à l'idée d'avoir un enfant à moi.
Nous voulons recommencer, avoir un autre enfant, mais Daphné... Daphné ne sera jamais là, elle n'existe tout simplement plus et c'est affreux. Par contre, aucun autre enfant ne la remplacera. Dans mon cœur et ma tête, elle restera toujours... toujours, ma petite fleur, ma petite pinotte...
Bonne nuit Daphné...
Ta maman qui t'aime,
Sandra xxx
Québec (Québec)